• - Statut des ESPE: Le projet et la méthode doivent être repensés

    Télécharger ce texte au format PDFPropositions du GRFDE : Reconstruire la formation des enseignants (1/3)

    Le Ministère de l'Enseignement Supérieur et de la Recherche (MESR) a soumis récemment aux syndicats un projet portant sur le statut et les missions des Écoles supérieures du professorat et de l’éducation (ÉSPÉ), que le gouvernement veut créer dans chaque académie dès septembre 2013 en remplacement des IUFM. Le GRFDE l’a mis en ligne sur son site : http://grfde.eklablog.com/information-exclusive-les-projets-du-mesr-pour-les-espe-a59375481

    La lecture de ce document appelle plusieurs questions et commentaires.   

    1°) Tout d'abord, ce texte émane du seul MESR et non conjointement des deux ministères, le MESR et le Ministère de l'Éducation Nationale (MEN). C’est pour le moins surprenant car, aussitôt créées, les ÉSPÉ auront forcément à travailler en collaboration étroite avec l'employeur (le MEN et les recteurs), particulièrement pour l'organisation, le suivi et l'évaluation des stages durant toute la formation et spécialement pendant l'année de fonctionnaire-stagiaire. Comment garantir aussi aux futurs enseignants que leur formation sera continûment encadrée par des équipes pluridisciplinaires si, d’emblée, le MEN et ses instances déconcentrées sont écartées du processus de conception des ÉSPÉ ? Et comment veiller à ce que le travail et l'organisation des ÉSPÉ permettent la meilleure articulation possible entre la formation initiale des enseignants dans le cadre des masters, les concours (et leur préparation), les programmes d'enseignement (primaires et secondaires), la formation continue, la recherche en éducation, etc. si les deux ministères ne travaillent pas de concert ?

    On ne peut concevoir l'organisation des écoles professionnelles, leurs missions et leur statut sans associer à leur fondation les représentants de l'employeur. Au moment où le gouvernement veut faire de la réforme de la formation des enseignants (FDE) le levier de la refondation de l’école, il serait stupéfiant que le MEN soit écarté de ce dossier.

    2°) Le gouvernement avait annoncé vouloir fédérer dans une même structure toutes les forces vives académiques de la FDE, tournant ainsi enfin la page de la dispersion des dispositifs et de la concurrence entre universités d’une même académie, voire entre composantes d’une même université, engendrées par la réforme de 2009. Or, d'après ce document de travail, l'ÉSPÉ sera « maitre d'ouvrage délégué de la formation » (c'est-à-dire concepteur) et participera pour partie à la « maitrise d'œuvre de la formation » (c'est-à-dire en tant que prestataire). Ce faisant, plutôt que de créer une institution amenant les différents acteurs à coopérer à partir de leurs compétences dans la formation à tous les métiers, comme le propose le GRFDE avec les Écoles professionnelles interuniversitaires académiques (ÉPIA-FdE), on risque de maintenir l'éclatement actuel, hérité de l’histoire et amplifié par la réforme de 2009, en deux sortes de dispositifs concurrents : les professeurs des lycées et collèges (PLC) formés par les UFR et les autres enseignants formés par les actuels IUFM. De plus, rien, sur le plan juridique, n’empêcherait que la concurrence soit ranimée pour la maitrise d’œuvre d’autres formations, celles des professeurs des écoles notamment, entre l’ÉSPÉ académique et telle ou telle université.

    Pire, cela légitimerait du même coup l'idée selon laquelle seuls les PLC auraient besoin d'un haut niveau de formation disciplinaire tandis que les professeurs des écoles (PE), les professeurs des lycées professionnels (PLP) et les conseillers principaux d’éducation (CPE) auraient besoin d'une formation pédagogique étroitement liée à la pratique. Alors que les concours seront tous passés au même moment du cursus, de tels clivages créent le risque d’un « décrochage » effectif dans le processus de formation aux divers métiers concernés, dans la valeur des masters, l’identité professionnelle et la représentation sociale de ces métiers. On fonderait en outre le nouveau système sur les oppositions les plus éculées, simplistes et fausses — et si pernicieuses ! — entre formation disciplinaire et formation professionnelle, entre formation et recherche, entre théorie et pratique, entre instruction et éducation, entre culture et pédagogie. Comment, dans ces conditions, prétendre améliorer sérieusement la qualification disciplinaire, didactique, pédagogique et l’initiation à la recherche de tous les futurs enseignants ?

    3°) Comme le montrent diverses analyses critiques de ce projet déjà publiées, le statut des ÉSPÉ, leur lien administratif avec les universités, le processus d’habilitation des formations, tels qu’ils sont envisagés dans ce document, ne permettraient pas de garantir aux ÉSPÉ les moyens en personnels et budgets fléchés indispensables à un réel « pilotage » de la formation des enseignants, ni les capacités à concevoir et mettre en œuvre les formations nécessaires en faisant coopérer tous les acteurs d’une même académie. Les universités n’en sortiraient pas renforcées pour autant : celles qui n’intégreraient pas l’ÉSPÉ académique se retrouveraient quasiment écartées du pilotage de la FDE dans leur région tandis que celles qui intégreraient l’ÉSPÉ académique auraient très souvent le sentiment de perdre leur souveraineté sur les moyens qui leur seront accordés pour la FDE et de devoir les partager sans contrepartie avec les autres universités. Les ÉSPÉ elles-mêmes pourraient vite se révéler de simples enveloppes sans contenu. Au total, la désastreuse logique de mise en concurrence des universités d’une même académie dans le champ de la FDE, engendrée par la LRU et la mastérisation, telle qu’elle a été mise en place, serait pérennisée par la réforme de 2013.

    L’expérience de l’intégration des IUFM dans une seule université s’est avérée, pour le moins, très décevante. Il convient de jouer à fond la carte de la coopération en créant une structure de formation interuniversitaire académique. Pour cela, les fondateurs des ÉSPÉ doivent exploiter toutes les possibilités offertes par la législation actuelle. Au besoin, ils ne doivent pas hésiter à imaginer un statut juridique original, permettant notamment d’associer étroitement les universités d’une même académie et le rectorat dans un travail commun, à partir d’un cadre national dessiné conjointement par les deux ministères.

    4°) Le MESR dit viser une formation « intégrée », dans laquelle le futur enseignant développe « simultanément » des connaissances et compétences disciplinaires et professionnelles. Or, c'est tout le contraire qui s'impose à la lecture de ce document de travail : celui-ci s'inscrit dans la logique d'une formation successive. En effet, la réduction de la formation aux deux années de master (l'année de stage se confondant avec la deuxième année de master au lieu de lui succéder et de la prolonger) et la coupure de cette formation en deux parties, la première pour préparer le concours, la seconde pour assurer le stage en responsabilité, ne peuvent que déboucher sur une année de bachotage suivie d'une année essentiellement consacrée à préparer et faire la classe. Ce dispositif nous ramènerait quasiment au statu quo d’avant la « mastérisation » et compromettrait la refondation de l'école. C'est ce que concluait le GRFDE dans une récente analyse critique du scénario qui semble retenu par le MESR, avec concours en fin de M1 :

    http://grfde.eklablog.com/concours-en-fin-de-m1-la-refondation-compromise-a59019695

    Ce n'est pas en instillant un peu de « professionnel » dans les épreuves des concours qu'on remédierait à ce défaut majeur. En effet, on ne peut parler de compétences professionnelles sans lien avec l’expérience pratique et, pour les enseignants, sans analyse réflexive de celle-ci. Or, il sera impossible d'organiser des stages réellement formateurs pour des dizaines de milliers de candidats aux concours en M1. Certes, il est possible d’évaluer des connaissances livresques sur le système éducatif (en histoire et en sociologie par exemple). Mais ce n'est nullement là une garantie que l’on recrute les meilleurs enseignants. Quant à demander aux candidats de juger lors du concours de la pertinence de telle ou telle pratique ou d'en faire une analyse didactique, c'est prendre le risque d'établir des didactiques officielles et d'encourager les candidats à soutenir non les idées qu'ils jugent justes, mais celles qu'ils croient avoir la faveur des jurys.

    En outre, pourquoi persister à vouloir former au métier des dizaines de milliers de jeunes dont la majorité échouera au concours en fin de M1 ? Leur temps est-il si bon marché que l’on puisse les attirer dans une impasse pour un ou deux ans ? Qu’est-ce qui justifie qu’on s’apprête à gaspiller ainsi des crédits considérables pour financer durant les années à venir des formations débouchant sur un cul-de-sac pour autant d’étudiants ? Cet argent ne serait-il pas mieux employé dans un projet audacieux d’amélioration de la formation des seuls enseignants qui seront effectivement recrutés ?

    5°) Le document de travail rappelle aussi de quelle manière seront mis en place les emplois d'avenir professeur (EAP). Sur le plan qualitatif, on ne peut nullement présenter ces EAP comme des pré-recrutements. Ils n'ont que peu de choses à voir avec le système des IPES. Ce seront plutôt des « jobs étudiants » sur contrats de droit privé qui permettront de salarier des étudiants en échange d’heures de travail dans les établissements scolaires. Partagés entre ce travail et leurs études, ces jeunes feront les deux choses à moitié. Ils ne pourront pas exercer pleinement les missions qui leur seront confiées, alors qu’il y a là des besoins effectifs de personnels formés à d’authentiques métiers (CPE, AVS, agents administratifs et techniques, etc.). Et, pour étudier (avoir leur licence, puis leur année de M1) et préparer les concours, ils seront en plus mauvaise posture que ceux qui pourront s’y consacrer à 100 % grâce au soutien financier de leur famille. Ces EAP font figure de cadeau empoisonné pour les jeunes de milieux populaires ! Le gouvernement serait-il si influencé par certains discours contre « l’assistanat » qu’il se refuse à établir un droit à l’accès au métier d’enseignant sans obliger simultanément les allocataires à « mériter » leur prestation ?

    En tout état de cause, sur le plan quantitatif, il n'y aura que 6000 EAP par an, soit bien moins de 30 % des postes qui seront mis aux concours : ce n’est pas ainsi que l’on résoudra la crise du recrutement.

    La reconstruction de la formation des enseignants est la clé de la refondation de l’école de la République. Elle a besoin d’un outil institutionnel à la mesure de ces enjeux. Or, par-delà des déclarations d’intentions sur les missions des ÉSPÉ, auxquelles tout le monde peut souscrire, le projet rédigé par le MESR n'est pas bon. En l’état, il est en décalage avec les ambitions affichées. Mais c’est aussi la méthode qu’il faut réviser : on ne peut avancer sur le statut des ÉSPÉ si on ne dit pas très précisément quelles seront leurs missions. En commençant par l’aspect institutionnel, le MESR met la charrue devant les bœufs. Il ne prend même pas le temps d’évaluer l’existant et d’établir le diagnostic de la crise de notre système de formation des enseignants.

    Les ÉSPÉ doivent être imaginées comme une institution d’un nouveau type, permettant la coopération de tous les acteurs de la FDE, pour concevoir et mettre en œuvre une formation de longue durée (trois ans après la licence, y compris l’année de stage), une formation universitaire adossée vraiment à la recherche, qui seule permet de garantir une qualification élevée des enseignants dans tous les domaines (disciplinaire, didactique, pédagogique et éthique). Ces écoles supérieures interuniversitaires doivent pouvoir organiser une alternance progressive jalonnée par des stages dès la première année en s’appuyant sur des équipes pluri-catégorielles (universitaires, formateurs en temps partagé, praticiens-formateurs, inspecteurs, etc.). Elles ont à porter une politique ambitieuse de développement de la recherche en éducation et de généralisation de la formation continue. Elles ont également pour mission d’assurer la démocratisation du corps enseignant et de résoudre la crise du recrutement grâce à une formation rémunérée dès la première année de master (M1) et à d’authentiques pré-recrutements en première et deuxième années de licence (L1 et L2), par exemple, sous la forme d’une allocation d’études sans la contrepartie d’un travail dans des établissements scolaires. Elles doivent accueillir naturellement des jeunes qui s’engagent d’emblée vers le métier d’enseignant dès le M1 (avec un concours en fin de L3), mais aussi, par concours particulier au niveau du M2, elles doivent intégrer des étudiants qui possèdent un master recherche et des personnes en reconversion ayant obtenu l’équivalent d’un master par la validation des acquis de l’expérience (VAE).

    Au lieu d’inviter les acteurs de la formation des enseignants à mettre en œuvre le projet du MESR dans la précipitation, il convient d’abord de tous les impliquer dans une concertation approfondie avec le MEN et le MESR. Cette concertation doit commencer par déterminer de quelle façon doivent être formés les enseignants de demain au regard des évolutions du métier.

     Le GRFDE  29 novembre 2012


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