• - Concours en fin de M1 : la refondation compromise

     Concours en fin de M1 :

    la refondation de l’école de la République compromise

    Télécharger ce texte au format PDFPropositions du GRFDE : Reconstruire la formation des enseignants (1/3)

     Au moment, tant attendu, où l’État affirme sa volonté de se réengager dans la formation des enseignants, parmi tous les scénarios envisagés, le ministre de l'Éducation nationale semble privilégier, depuis la fin de la « Concertation nationale », l’hypothèse de concours de recrutement placés en fin de M1. Un tel dispositif deviendrait effectif dès la rentrée 2013-2014 et la session 2014 des concours. En projetant aujourd’hui d’avancer les concours d’un an, le gouvernement décide de cesser de mettre des enseignants sans formation professionnelle devant les élèves (la formation professionnelle post-concours ayant été supprimée en 2009 lors de la « mastérisation »). Mais ces enseignants seront-ils mieux formés pour autant ?

    En 2009, ce scénario d’un concours en M1, suivi d’une année de formation professionnelle en M2, avait été envisagé comme une alternative à l’aberrante réforme imposée par les ministres Xavier Darcos et Valérie Pécresse. Cependant, les limites de cette formule apparaissaient immédiatement à l’analyse, analyse par ailleurs confirmée par la Cour des Comptes en février 2012.

    En reprenant ce scénario, sorte de masterisation minimale, le gouvernement fait retour à ce qui existait avant la réforme de 2009 : un concours passé à Bac + 4, suivi d’une seule année de formation alternée et rémunérée sous statut de fonctionnaire-stagiaire. En l’enveloppant d’un diplôme de master, ce dispositif multiplie les incohérences et n’apporte pas d’améliorations par rapport aux IUFM d’avant 2009. Il reste donc très en deçà de la reconstruction de la formation des enseignants qu’exige la refondation de l’école.

    Un dispositif incohérent

    Premièrement, un tel dispositif pose avec intensité la question des orientations et réorientations à la fin du M1 en cas d’échec au concours. Si le problème des « reçus-collés » est moins aigu que dans le cas d’un dispositif qui placerait les concours en fin de M2 (quelle que soit l’importance des épreuves disciplinaires et des épreuves professionnelles), ou bien pour partie en M1 et pour partie en M2, le placement des concours en fin de M1 ne le résout pas vraiment. On peut en effet évaluer le nombre des étudiants reçus à leur M1 mais collés aux concours à 80 % des effectifs d’une promotion. Même si une sélection est établie par un jury universitaire, souverain, entre le M1 et le M2, elle sera nécessairement moins drastique que celle d’un jury de concours, dont les exigences ne sont pas tant liées à un niveau spécifique qu’à un nombre limité de postes offerts aux concours. De ce fait, ces étudiants auront le droit de s’engager en M2 et beaucoup voudront certainement le faire dans l'espoir de réussir le concours l'année suivante avec de meilleures chances. À moins que, pour les masters professionnels des métiers de l'enseignement, le gouvernement envisage de réserver l'accès au M2 aux seuls lauréats des concours, option pour le moins hasardeuse au regard de la loi et que le ministère n’a pas évoquée jusqu’ici. Cela conduirait en effet à établir un numerus clausus à l’entrée du M2, défini par le MEN, privant ainsi les universités du droit de sélectionner elles-mêmes les étudiants admis dans ces M2.

    En fait, le gouvernement voudrait plutôt que ces étudiants bifurquent en M2 vers d’autres voies professionnelles : éducateurs de jeunes enfants, aide-éducateurs, assistants de vie scolaire, médiateurs, animateurs socioculturels, agents ou cadres des collectivités territoriales travaillant dans le domaine de l'éducation, des sports, des loisirs et de la culture, formateurs de formateurs, métiers de l'édition, etc. Même si les résultats des épreuves d’admissibilité étaient connus au début du deuxième semestre de M1, ainsi que l'ont récemment indiqué des responsables ministériels, il ne serait déjà plus temps pour les étudiants de se réorienter vers une autre voie (à moins de désorganiser plusieurs S2 de M1) et ils devraient attendre pour cela l’année de M2.

    Cette réorientation serait vécue par la plupart de ces étudiants comme la rançon d'un échec, comme le choix d’un métier de substitution non motivé par l’intérêt personnel. Est-ce ainsi que l'on conçoit ces autres métiers dans le champ de l'éducation, à savoir des pis-aller pour étudiants ayant échoué aux concours de l’enseignement ? Ce serait établir là une hiérarchie insupportable entre métier « noble » d'enseignant et métiers de « petites mains » de l'éducation...

    En outre, si l'on prend au sérieux ces autres métiers du champ éducatif, plusieurs questions surgissent. Est-il sûr que ces formations puissent correspondre dans toutes les académies à d'authentiques débouchés ? L'université sait-elle partout dès maintenant concevoir les masters correspondants et a-t-elle les moyens humains de les délivrer ? N’est-il pas prévu de déléguer totalement ces formations aux « Écoles supérieures du professorat et de l’éducation » (ÉSPÉ) et n’y a-t-il pas là le risque de siphonner les formations existantes et de transformer au bout du compte, bon gré mal gré, les ÉSPÉ en composantes « à tout faire » où se diluerait le cœur de leur mission, à savoir la formation des enseignants ?

    Deuxièmement, ce système implique forcément une distorsion marquée entre le M1, tout entier tourné vers la préparation des épreuves écrites et orales du concours de recrutement d’enseignants, et le M2, qui aura des finalités bien différentes. On a reproché aux IUFM d’avant 2009 de n’avoir pas réussi à mettre en cohérence première et deuxième années de formation. Ce « nouveau » dispositif produirait les mêmes effets : les étudiants lauréats des concours enchaîneraient eux aussi deux années sans continuité l'une avec l'autre, successivement focalisées sur la préparation du concours — c'est-à-dire, en réalité, son bachotage — puis sur la formation professionnelle. Le constat était unanime et sans appel : ce dispositif avait montré ses limites en matière de formation professionnelle.

    Troisièmement, de cette rupture au cœur du diplôme de master découlent des incohérences statutaires et entre lieu de formation et lieu d’affectation. D’après les déclarations de Vincent Peillon, les lauréats seraient à la fois fonctionnaires stagiaires, sous l’autorité du rectorat employeur, et étudiants inscrits dans un M2. Ce double statut serait inédit dans l'histoire de la formation des enseignants. Il serait une source évidente de contradictions, de complications juridiques, voire de contentieux devant les tribunaux administratifs. Qui piloterait vraiment la formation ?

    Et si ces jeunes étaient placés en report de stage pendant un an, seraient-ils rémunérés comme contractuels à hauteur d’un demi-salaire comme dans le cas du dispositif transitoire pour les étudiants admissibles de la promotion 2013-2014 ?

    Dans quelle académie les lauréats effectueraient-ils cette année de M2 ? De nombreux candidats préparent les concours dans une académie mais ils les passent et effectuent leur année de stage dans une autre. Devraient-ils ainsi changer d’académie et d’université ou d’ÉSPÉ en M2 afin de mieux se préparer aux conditions réelles d’exercice de leur métier, ce qui accentuerait encore les discontinuités au cours du diplôme ? Ou bien resteraient-ils dans le même établissement universitaire tout au long de leur master, pour être affectés ensuite à plein temps dans une nouvelle académie ? Ceci mettrait en péril la progressivité de leur insertion professionnelle. C’est ce qu’ont connu les trois dernières promotions de professeurs stagiaires avec les difficultés extrêmes que l’on sait.

    En somme, ce dispositif manque de cohérence et de justice. Et, on ne peut que le redouter, il peinerait à résoudre la crise du recrutement.

    Un dispositif très en deçà des objectifs de refondation de l’école

    Cette formation successive ne peut pas non plus apporter d’amélioration de la formation professionnelle par rapport au dispositif d'avant 2009.

    • Le gouvernement le voudrait-il, il serait particulièrement difficile de mettre en place des stages en nombre suffisant et dans des conditions satisfaisantes pour des promotions entières d’étudiants de M1, sauf à sélectionner les étudiants à l’entrée des masters portés par les ÉSPÉ. Ce problème serait quasiment insoluble dans plusieurs académies du Sud de la France. Il confinerait à l'extravagance si les M2 enseignement (comportant nécessairement des stages d’observation, accompagnés et en responsabilité) étaient ouverts aux étudiants ayant échoué au concours ! Or, s’il n’y a pas de stage en M1, parler de formation professionnelle pour cette première année du master serait se payer de mots. Ce serait le signe patent d'une réforme avortée quant à ses objectifs d’amélioration de la formation professionnelle.

    • Mais, dans de telles conditions, sans possibilité de concevoir une formation en alternance dès le M1 pour tous, quel sens peut avoir la volonté affichée du Ministère de l'Éducation nationale de faire évoluer les épreuves du concours pour les rendre plus « professionnelles » ? Si celles-ci ne peuvent susciter une réflexion sur l’expérience d'un enseignement mis en œuvre lors de stages, porteraient-elles sur la connaissance livresque du système éducatif et comporteraient-elles des questions de didactique ou de pédagogie, ce qui, étant donné le manque d’expérience des candidats, les feraient relever d’une doxa ? Le paradoxe serait que les candidats qui feraient des stages pour mieux appréhender le métier se consacreraient moins entièrement à la préparation du concours et se retrouveraient vraisemblablement en plus mauvaise position pour le réussir. Dans l’hypothèse ou un stage serait intercalé en M1 entre les épreuves d’admissibilité et les épreuves d’admission, il serait nécessairement de courte durée. Si les épreuves d’admission devenaient plus professionnelles, les candidats ne pourraient guère aller au-delà de déclarations de principe, cherchant surtout à se conformer aux attentes supposées du jury en matière de didactique ou de pédagogie.

    • En vérité, absorbés entièrement dans ce dispositif par la préparation du concours durant la première année, les lauréats n’auraient qu’une année pour se former sur le plan professionnel, c’est-à-dire rien de plus qu’avant le train de réformes de 2009, mais avec, de surcroît, la nécessité de répondre aux exigences des formations de l'année de M2 et de la réalisation d’un mémoire de recherche.

    Ce serait un comble, cette solution conduirait aussi à réduire d’une année la période officiellement consacrée à la formation initiale. Dans le dispositif actuel en effet, l’année durant laquelle les lauréats sont fonctionnaires-stagiaires prolonge le master et s’ajoute à lui ; avec la solution proposée par le ministre Vincent Peillon, elle se confond avec le M2. Certes, avec la « réforme Darcos », les stagiaires doivent un service complet et parler de stage dans ce cas est un abus de langage. Mais tous les acteurs demandaient le retour à un service fortement diminué, en vue d’alléger la charge de travail des stagiaires et d’organiser une vraie formation tout au long de cette année post-master. Avec un concours placé en M1, l’année suivant le M2 serait la première dans le statut de titulaire et, pour prolonger la formation du master, on ne pourrait recourir qu’à la formation continue ce qui exigerait qu’on la sorte au moins de la misère actuelle.

    • En seconde année, investis fortement dans leurs préparations d’enseignant en formation alternée, les étudiants-professeurs-stagiaires ne pourraient guère s’initier à la recherche, initiation qui ne peut se confondre avec ce qui est exigé dans la rédaction d’un mémoire de stage. Pourrait-on encore parler de master dans ces conditions ? Et il ne serait pas sérieux de relativiser ces défauts substantiels au motif que beaucoup d'étudiants pourraient réaliser au préalable un master recherche. On peut également craindre que les étudiants fassent encore le reproche aux formations de M2 de ne pas répondre à leurs attentes, très largement dessinées par les exigences des stages en responsabilité et de leur évaluation dans le master.

    Au total, avec une telle réforme, où serait l'amélioration de la formation des enseignants et qu’adviendrait-il de la politique de refondation de l’école ? L’opiniâtre mobilisation, durant trois années, de tous les acteurs de la formation contre la réforme imposée par Nicolas Sarkozy et Xavier Darcos et la concertation organisée durant deux mois pourraient-elles déboucher sur … ce retour en arrière imprévu, le rétablissement du dispositif d'avant 2009, empiré par des difficultés supplémentaires ? La montagne accoucherait d’une souris. Nous le disons avec inquiétude : le décalage est manifeste avec les grands desseins exposés il y a quelques mois. Si le gouvernement confirme cette direction, nous allons là vers une pauvre réforme sans ambition, ni souffle à la hauteur des enjeux, qu’on s’apprêterait néanmoins à appliquer dans la précipitation.

    Reconstruire vraiment la formation des enseignants

    Pour reconstruire la formation des enseignants au service de la refondation de l’école, il est nécessaire, tout à la fois :

    - d’assurer la qualité de la formation disciplinaire des enseignants afin qu’ils puissent transmettre des savoirs solidement fondés et effectivement maîtrisés, ce qui nécessite deux années pleines au-delà de la licence ;

    - d’adosser la formation à la recherche, durant les deux années du master, afin que les enseignants conçoivent leurs enseignements de manière autonome, puissent adopter une posture réflexive sur leurs pratiques et s’approprier les avancées de la recherche dans les disciplines et en éducation ;

    - de garantir une véritable alternance progressive durant au moins deux ans, jalonnée par des stages dès la première année ;

    - de mettre en œuvre la formation professionnelle en s’appuyant sur des équipes pluricatégorielles (universitaires, formateurs en temps partagé, praticiens-formateurs, inspecteurs, etc.) ;

    - d’assurer la démocratisation du recrutement des enseignants par des concours accessibles de manière précoce ouvrant sur une formation rémunérée ainsi que par des prérecrutements en nombre conséquent.

    Comme on le voit avec les trois premiers réquisits, la formation universitaire professionnelle en alternance doit durer deux années, sans être détournée de son objet par la préparation des concours. C'est très exactement le bilan qui a été tiré des deux réformes précédentes, celle de 1991, puis celle de 2009. Aucune refondation de l'école n'est possible sans cela. Dès lors, il n’y a pas d’autre choix que d’organiser au niveau de la licence un concours donnant accès à un master enseignement et, pour les étudiants déjà titulaires d’un master, de tenir un concours supplémentaire donnant accès à un M2 enseignement. C’est le modèle que suivent les formations d’ingénieurs, de médecins, des infirmiers-ières, des contrôleurs aériens, etc. Pourquoi — en dehors de raisons budgétaires — ce modèle ne pourrait-il s’appliquer à la formation des enseignants ? Seules ces propositions que, parmi d’autres (mouvements politiques, organisations syndicales, collectifs, associations professionnelles, fédération de parents d’élèves, mouvements pédagogiques…), le GRFDE soutient (voir son texte programmatique du 19 septembre), permettent de répondre à cette exigence : reconstruire vraiment la formation des enseignants pour porter l’urgence démocratique de la refondation de l’école de la République.

    Le GRFDE demande au gouvernement et à la majorité parlementaire de prendre le temps d’une concertation approfondie sur ce sujet aussi crucial pour l’avenir de l’école et de faire des choix à la hauteur des enjeux pour assurer la refondation de l’école de la République.

    Novembre 2012

     


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