• -Le GRFDE répond à ses critiques...

    Le document produit par le GRFDE pour chiffrer ses propositions et les comparer au coût estimé de chacun des scénarios en concurrence a suscité de nombreuses réactions, la plupart du temps positives, il a cependant soulevé quelques critiques en particulier de Claire Pontais et Christian Couturier du SNEP-FSU. Le document qui suit entreprend d'y répondre afin de continuer à faire avancer la réflexion.

    On trouvera à la fin de ce texte un résumé des propositions du GRFDE

    (Ce texte est également consultable sur le site du Café pédagogique -23 janvier 2013).

    L'ensemble du dossier a aussi été publié sur le blog de S. Huet (Libération)

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    À propos d’une critique des propositions du GRFDE

    Re-construire la formation des enseignants

    avec tous ceux qui le veulent

    Dans un texte intitulé Les mauvais calculs du GRFDE et récemment diffusé sur plusieurs listes, puis mis en ligne par Le Café Pédagogique [1], Claire Pontais et Christian Couturier (deux collègues professeurs d’EPS, engagés dans la formation des enseignants, syndicalistes et secrétaires nationaux du SNEP-FSU) livrent un véritable réquisitoire contre le projet du GRFDE [2]. Ils le font en commençant par répondre à l’étude du GRFDE sur les coûts budgétaires des différents scénarios de formation et de recrutement, étude à laquelle les médias ont donné un assez large écho et qui conclut que, contrairement aux apparences, le meilleur scénario de formation n’est pas forcément le plus cher. Passons sur le ton étrangement agressif de ce texte à l’égard du GRFDE et de ses membres et examinons sur le fond les critiques faites par nos deux collègues à l’encontre de ses propositions et de ses calculs. L’important en effet est de pouvoir échanger réflexions, idées et arguments de façon constructive, au bénéfice de l’objectif dont nous sommes certains qu’il nous est commun : la re-construction de la formation des enseignants anéantie par les « réformes » des gouvernements de Nicolas Sarkozy. Le GRFDE l’a dit dès sa création, il n’a pas vocation à se substituer aux instances syndicales ou autres ; il défend un projet et veut contribuer à la réflexion sur la formation des enseignants. S’il répond ici à ces critiques, c’est parce qu’elles dénaturent le message du GRFDE.

    Nos deux collègues commencent par écrire : « Nous nous étonnons, dans cette initiative, d’au moins deux choses. Tout d’abord que la question du financement global de la formation que personne, à notre connaissance n’a été capable de chiffrer jusqu’à présent, pas même le ministère, devienne un argument principal. Ensuite que ce scénario (concours en L3) qui avait complètement disparu du paysage depuis la mastérisation, revienne, alors même que les conditions et le contexte ont été complètement bouleversés. » Examinons chacune de ces deux objections.

    Première objection : entrer dans la question de la formation par le coût budgétaire, c’est une traîtrise !

    Il est vraiment curieux de reprocher au GRFDE de faire du coût budgétaire (« le moins cher du marché » disent, avec malice, nos deux collègues) « l’argument principal » de ses plaidoiries en faveur du scénario qu’il a élaboré et soumis au débat public en septembre dernier.

    Il n’est pas difficile en effet de vérifier, sur le site du GRFDE, que son étude comparative sur les coûts est, jusqu’à cette heure, le dernier texte d’une série de cinq. Or, dans aucun des quatre textes précédents, le GRFDE n’avait abordé la question des coûts. Dans le premier, il s’est employé à décrire son projet. Dans les deux suivants, il a analysé par le menu les conséquences des autres scénarios en présence : concours à cheval sur le M1 et le M2 pour la période transitoire, concours en 1re année de master (M1) pour les années suivantes, qui semble avoir la faveur du gouvernement. Dans son quatrième texte, il a livré une analyse critique du projet gouvernemental concernant le statut des ESPE. À chaque fois, il a pointé les problèmes nombreux, parfois inextricables, qu’engendrent les scénarios imaginés par le gouvernement et à chaque fois, il a défendu ses propres propositions. Claire Pontais a diffusé, à deux reprises au moins, des commentaires critiques de ces textes. Elle les connaît donc aussi bien qu’il est possible.

    Le GRFDE a été conduit à entreprendre cette étude sur les coûts budgétaires pour mettre à l’épreuve les objections qui lui étaient constamment renvoyées comme des jugements définitifs par des journalistes, des responsables politiques, des membres des cabinets ministériels et même certains syndicalistes : « Votre dispositif est séduisant, mais dans le contexte de rigueur budgétaire actuel, il est totalement irréaliste. » Le but n’était pas au départ d’aboutir au scénario « le moins cher du marché » mais de tenter d’évaluer les grandes masses en jeu dans les divers scénarios en présence et de rapprocher leurs coûts pour que celui du GRFDE ne soit pas hors jeu, exclu par avance de la réflexion collective et du débat public par un simple préjugé. Il se trouve que, d’après ces calculs, contrairement aux apparences — et même, disons-le, à la surprise des auteurs de l’étude ! — le scénario du GRFDE est aussi le moins coûteux pour les finances publiques. À l’inverse, celui de la réforme Darcos est le plus dispendieux, alors même qu’il avait été conçu pour réaliser des économies budgétaires ! Aurait-il fallu que le GRFDE gardât pour lui les résultats de cette étude ?

    Quant au fond, faudrait-il se refuser par principe à effectuer des investigations sur les implications budgétaires de telle ou telle demande sociale ? Ce serait une attitude incompréhensible. Du reste, Claire Pontais n’appelait-elle pas de ses vœux ce type d’étude quand elle disait : « C’est un choix politique et économique (au deux sens du terme) : des enseignants bien formés et préparés aux missions qui sont les leurs seront des enseignants « rentables » et il n’est pas sûr qu’une analyse minutieuse (que le ministère n’a jamais faite) sur le coût réel de tout ça ne mette pas en évidence qu’il pourrait s’agir d’un investissement intéressant. »[3]

    Nos deux collègues accusent le GRFDE, à travers cette étude comparative, de considérer le coût de son scénario comme le critère primordial des choix politiques en jeu. C’est une critique de mauvaise foi. Dans les deux dernières pages, d’une conclusion intitulée « l’investissement public pour la FDE, un enjeu crucial pour l’avenir », le GRFDE écrit en effet : « Naturellement, ce n'est pas parce que le scénario proposé par le GRFDE est le moins coûteux qu'il est le meilleur, car alors le meilleur système de formation serait celui qui ne coûterait absolument rien : pas de formation du tout, c'est assurément ce qu’il y a de moins cher ! » et plus loin : « Si notre scénario devait être plus cher que les autres dans son coût budgétaire direct, ce serait finalement sans importance. S’il apparaît bien comme le plus propre à assurer une formation de qualité, il faudrait faire cet effort d'investissement ! » Ce dernier passage est souligné. Il est difficile de croire que nos deux collègues n’ont pas eu en main la fin du document et n’ont pas lu cette conclusion. Quel objectif visent-ils en fait en utilisant une méthode de dispute si peu respectueuse des textes ?

    Voulant enfoncer le clou, sous le titre « Un raisonnement politiquement problématique », nos deux collègues écrivent : « Que le ministère cherche le moindre coût au regard de son projet, c’est son rôle. Que des acteurs de la formation avancent cet argument est politiquement risqué : qu’il le veuille ou non, par sa communication basée sur les coûts, le GRFDE accrédite l’idée que le problème principal de la formation est celui du coût, et qu’il faudrait trouver le moins disant. Qui aujourd’hui annonce à la nation entière que former des médecins, des ingénieurs, des cadres… coûte cher et qu’il faudrait en diminuer le coût ? Depuis 5 ans, la question du coût de la formation a été surdéterminante, et nous ne pouvons que répéter que l’on n’a pas assez investi dans ce domaine. » Traduisons : les membres du GRFDE sont des auxiliaires des politiques d’austérité ! L’attaque est d’autant plus étonnante que Claire Pontais connaît plusieurs des fondateurs du GRFDE. Ils ont été de tous les combats contre la réforme Darcos dite de la « mastérisation » dès son annonce par Nicolas Sarkozy en juin 2008 ; ils n’ont cessé de dénoncer la démolition de la FDE sur l’autel des sacrifices budgétaires ; ils ont créé et animé avec elle la Coordination nationale formation des enseignants (CNFDE), dans les réunions de laquelle Christian Couturier s’est plusieurs fois exprimé ; ils ont initié avec elle la pétition nationale « 100 000 voix pour la formation des enseignants ». Les signataires y disaient : « Ensemble nous voulons que le gouvernement considère la formation des enseignants non comme un fardeau pour le budget de la nation mais comme un investissement pour l'avenir ! ». Cette manière de mener la controverse n’est pas vraiment respectueuse des personnes et de leur engagement.

    Deuxième objection : le concours en L3 est une incongruité dans le paysage de la masterisation

    Rappelons ce qu’écrivent Claire Pontais et Christian Couturier, au début de leur texte : « [Nous nous étonnons] que ce scénario (concours en L3), qui avait complètement disparu du paysage depuis la mastérisation, revienne, alors même que les conditions et le contexte ont été complètement bouleversés. » D’abord, est-ce légitime d’interdire a priori l’examen de certaines hypothèses, en particulier quand elles ne semblent pas conformes aux schémas dominants ? Ensuite, l’hypothèse retenue par le GRFDE (entrer, par concours en fin de L3, dans une école universitaire de formation pour y suivre un master enseignement) est loin d’avoir « disparu du paysage ». Les acteurs de la formation des enseignants savent bien qu’elle a toujours été regardée comme une hypothèse sérieuse, qu’elle est toujours défendue par de nombreux universitaires engagés dans la FDE, par des spécialistes de la formation, par d’autres collectifs comme le GRDS [4], par divers syndicats d’enseignants, par des militants syndicalistes y compris de nombreux membres de la FSU, par des mouvements pédagogiques, par la FCPE, par au moins un parti politique représenté au Parlement, par plusieurs députés et sénateurs, etc.

    Comment en serait-il autrement ? On conviendra que la formation des enseignants peut être comparée à celles des autres professions intellectuelles exigeant à la fois des savoirs de haut niveau, une grande technicité, la capacité à exercer avec discernement un pouvoir de décision, à travailler en équipe, la nécessité de concevoir et réfléchir sa pratique dans un environnement complexe, parfois changeant… Or, dans la plupart des formations initiales de ces professionnels, le concours est passé précocement, les lauréats ont accès à une école professionnelle, la formation en alternance a une durée importante et elle débouche sur un diplôme de grande valeur. N’est-ce pas ce qui existe pour la formation des médecins, des ingénieurs, des infirmières, des manipulateurs radio, des magistrats, des contrôleurs aériens (qui sont fonctionnaires, rappelons-le), etc. ? Pourquoi la formation des enseignants devrait-elle tourner le dos à ces exemples que l’on nous envie à travers le monde ?

    Nos deux collègues considèrent que le concours en L3 serait un recul pour la qualification des enseignants après une période, consécutive à la réforme mise en place par Xavier Darcos, où ils ont été recrutés au niveau du master. Dans le projet du GRFDE, en toute rigueur, le concours donne accès à un master enseignement et le recrutement est opéré à l’issue de ce master sous statut de fonctionnaire stagiaire (FS), puis à la fin de cette année de stage sous statut de fonctionnaire titulaire. Autrement dit, si l’on veut comparer ce qui est comparable, dans le projet du GRFDE, le « vrai » recrutement n’a pas lieu à la fin de L3 mais, comme aujourd’hui, à l’issue du master, à Bac + 5. Notons au passage que si l’on apprécie le projet gouvernemental actuel à cette aune, il y a là, en revanche, un authentique recul, puisque le niveau de recrutement serait celui du M1, qui ne peut pas être considéré comme un diplôme.

    Troisième objection : la méthode de calcul n’est pas bonne

    Nos deux collègues formulent plusieurs critiques à l’encontre de la méthode de calcul que le GRFDE a employée, principalement quatre. L’étude du GRFDE n’est pas a priori exempte de défauts. Il est normal qu’elle donne lieu à discussion et à des rectifications si elles s’avèrent nécessaires. Mais, le GRFDE le répète, si l’analyse critique de cette étude devait conduire à augmenter le coût budgétaire du scénario qu’il défend, voire à en faire le scénario le plus coûteux, ce ne serait pas une raison suffisante pour le repousser.

    Examinons donc ces critiques. Le raisonnement du GRFDE part de deux données figurant dans un rapport de la Cour des comptes [5] : une année de formation en master coûte 11 000 euros ; le rapport arithmétique entre étudiants préparant les concours et lauréats est grosso modo de 4 pour 1. Nos deux collègues ne contestent pas le coût de formation d’un étudiant durant une année de master, seulement la seconde donnée.

    1°) Le GRFDE minimiserait le ratio admis / candidats présents à l’admissibilité

    Selon eux, « le ratio n’est plus de 1 sur 4 mais de 1 sur 2 ». Or, pour la session 2012, voici les chiffres données par le SIAC-1, du Ministère de l’Éducation nationale, concernant le concours externe de professeur des écoles (CERPE) :

                            Postes offerts : 4 601

                            Candidats inscrits : 37 018

                            Candidats présents à l'admissibilité : 17 385

                            Candidats admissibles : 8 240

                            Candidats admis : 4 637

                            Admis / présents à l'admissibilité : 26,67 %

    Pour le premier degré, on retrouve à peu de chose près la proportion 1/4 utilisée par la Cour des comptes.

    Pour l’ensemble des concours externes du second degré (CAPES, CAPEPS, CAPET, CAPLP, CPE et COP), les statistiques du SIAC-2 sont les suivantes :

    Postes offerts : 7 290

                            Candidats inscrits : 46 456

                            Candidats présents à l'admissibilité : 22 151

                            Candidats admissibles : 12 015

                            Candidats admis : 6 467

                            Admis / présents à l'admissibilité : 29,19 %

    Si l’on totalise tous les concours externes des premier et second degrés, le rapport entre les présents aux épreuves d’admissibilité (39 536) et les admis (11 104) est de 28,08 %, plus près du quart que du tiers.

    Ce pourcentage est proche de celui que livre la Cour des comptes. Toutefois, celle-ci se fonde non sur le ratio admis / présents à l‘admissibilité, mais sur le ratio admis / étudiants inscrits dans les masters enseignement. Or, il est raisonnable de penser que, parmi les très nombreux candidats inscrits qui n’ont pas composé, un certain nombre ont tenté de suivre la formation du master correspondant au concours mais se sont sentis découragés à l’approche de celui-ci. Ne se sentant pas à la hauteur, ils ont « jeté l’éponge ». C’est souvent le cas d’étudiants salariés. Au total, les proportions de la Cour de compte apparaissent donc crédibles. En tout cas, on ne peut pas écrire, comme le font nos deux collègues : « Aujourd’hui, la quasi-totalité des étudiants qui se préparent au métier deviennent enseignants. »

    Par ailleurs, le ratio actuel correspond à une situation d’étiage : le nombre de candidats par rapport au nombre de postes s’est effondré depuis la réforme de la mastérisation et il ne suffira pas d’augmenter le nombre de postes pour multiplier d’autant le nombre de candidats. Le GRFDE s’est limité dans ses estimations à la situation diagnostiquée par la Cour des Comptes. Faut-il faire le pari ou même souhaiter qu’à l’avenir le nombre de candidats par rapport au nombre de postes restera aussi faible ? Si l’on veut sortir de la crise du recrutement, la solution la plus simple et la plus efficace consiste à placer le concours en L3. On garantira ainsi le meilleur ratio possible postes / candidats et l’on permettra aux étudiants qui n’auront pas été admis de choisir aussitôt une autre orientation sans avoir perdu de temps.

    2°) Le coût des 300 « autres » ne serait pas pris en compte

    Selon les contradicteurs du GRFDE, « si l’État recrute 100 profs en L3, les 300 « autres » font de toute façon des études universitaires et représentent le même coût ». Les économies réalisées ici seraient des dépenses ailleurs. L’étude comparative du GRFDE a pris soin de discuter dans le détail cette objection dans une partie intitulée « Discussion sur le mode de calcul » (pages 8 et 9). L’objection est formulée ainsi : « Avec le dispositif du GRFDE […], les 3 étudiants sur 4 que l’on ne forme pas au métier d’enseignant ne s’évaporent pas. Ils suivent une autre formation universitaire, dont le coût continue à peser sur les budgets des universités. » Or, pour les auteurs de l’étude, cette objection ne prend pas en compte tous les faits, notamment celui-ci : pour une grande part, les étudiants qui échouent au concours aujourd’hui ne se réorientent pas immédiatement ; ils persistent souvent une année supplémentaire en s’inscrivant dans un DU axé sur la préparation du concours [6]. Cela a un coût, de même que les abandons de toute formation universitaire pour un grand nombre d’étudiants à l’issue d’un ou deux échecs. Il aurait mieux valu pour eux et pour le budget des universités que ces étudiants n’aient pas été attirés dans cette impasse. Le lecteur peut se reporter à cette partie un peu technique de l’étude comparative qui conclut toutefois à la validité pragmatique et arithmétique du mode de calcul adopté.

      3°) Se préparer au métier d’enseignant et échouer au concours, ce ne serait pas un gâchis

    Selon nos collègues, le GRFDE aurait tort de considérer que, pour la société et pour l’étudiant lui-même, l’échec au concours au milieu ou au terme d’un master enseignement est un gâchis. Certes, développer des connaissances sur l’école et les disciplines scolaires, commencer à apprendre le métier d’enseignant et ses gestes professionnels, cela ne fait pas de mal en soi. C’est assurément une expérience formatrice. Mais est-ce bien la question ? Raisonne-t-on de cette manière pour les autres professions ? Que dirait-on d’un système qui formerait par exemple des dizaines de milliers d’infirmiers et d’infirmières et n’en diplômerait finalement qu’un quart ou un tiers ?

    Nos deux collègues écrivent : « Toute qualification à Bac + 5 doit permettre d’accéder à un niveau de formation qui ouvre des possibles. » Selon eux, le GRFDE a le tort de considérer la FDE selon un modèle « tubulaire ». Or, dans un master orienté par la préparation d’un concours d’enseignement, surtout s’il est en position finale, les possibilités de réorientation vers les autres métiers de l’éducation sont limitées : comment se préparer à la fois à un concours d’enseignement et en même temps envisager de se former à d’autres métiers, qui impliquent eux aussi une préparation sérieuse. Mais surtout, comme le GRFDE le dit dans son troisième texte, « cette réorientation serait vécue par la plupart de ces étudiants comme la sanction d'un échec, comme le choix d’un métier de substitution non motivé par l’intérêt personnel. Est-ce ainsi que l'on conçoit ces autres métiers dans le champ de l'éducation, à savoir des pis-aller pour étudiants ayant échoué aux concours de l’enseignement ? Ce serait établir là une hiérarchie insupportable entre métier ”noble” d'enseignant et métiers de ”petites mains” de l'éducation... »

    Claire Pontais et Christian Couturier poursuivent : « Dans ce sens ce n’est certainement pas un gâchis, mais plutôt un investissement. » Admettons… Mais ne négligent-ils pas la souffrance humaine que représente cette trajectoire d’échec pour des dizaines de milliers d’étudiants reçus au master et collés au concours ? On les a incités à s’inscrire dans un master enseignement, à se former à ce métier et à préparer un concours de PE, de PLC, de PLP ou de CPE, qui rejette la grande majorité d’entre eux. Certains seront même rejetés une seconde fois après avoir, pour ainsi dire, « redoublé » le M2 [7]. Telle est la dure réalité de cette formation en entonnoir. Mieux vaudrait encore un « tube » ou, du moins, engager les étudiants sur des voies de réussite.

    Quel est le principal espoir de ces étudiants ainsi laissés en souffrance ? Un retour minimum sur investissement : être bientôt embauché pour des CDD dans l’Éducation nationale en faisant valoir leur diplôme universitaire (le master) et les évaluations positives de leurs stages dans les établissements scolaires. On peut s’étonner que des syndicalistes ne voient pas le risque majeur qu’un tel système de formation-recrutement fait peser sur la fonction publique dans l’Éducation nationale, singulièrement en période de montée de chômage des jeunes diplômés. La formation de cette masse de précaires potentiels pourrait en effet justifier à bon compte le passage au système de recrutement anglo-saxon (que l’Italie a adoptée il y a quelques années) : chacun se forme, puis chacun « se vend » auprès des chefs d’établissement. Le jour où un gouvernement voudra étioler, puis supprimer les concours, il pourra le faire aisément s’il y a, sur « le marché du travail », des milliers de détenteurs du master enseignement, demandeurs d’emploi et capables de « faire le job ». Ce projet est déjà dans les cartons des responsables politiques de l’UMP.

    Le problème est si réel que la nécessité de limiter ces orientations en impasse et de « gérer les flux » à l’entrée des masters-enseignement est une thématique récurrente des débats sur la FDE. L’expression « gérer les flux » figure même dans les programmes de plusieurs syndicats. Mais vaut-il mieux pour cela s’en remettre à une « main invisible » ou à des dispositifs opaques et locaux ou bien préférer la plus grande égalité et transparence de concours nationaux organisés à l’entrée de la formation ?

    Il est enfin nécessaire de rappeler que le GRFDE a emprunté au SNEP-FSU une idée dont Claire Pontais est l’une des conceptrices — peut-être la principale — celle de diversifier les voies d’accès au métier d’enseignant [8]. Le scénario du GRFDE prévoit ainsi, en plus du concours en fin de L3, un concours spécifique qui permet d’entrer directement en M2 pour les étudiants déjà titulaires d’un master recherche et pour les salariés qui ont obtenu une équivalence de master par VAE. Le scénario du GRFDE ne ressemble ni à un tube, ni à un entonnoir, mais plutôt à un confluent.

    4°) Il y aurait un écart de « 10 000 postes »

    Claire Pontais et Christian Couturier mettent enfin en cause le mode de calcul du GRFDE pour l’année de fonctionnaire stagiaire : « Si l’on compare ce projet à celui du gouvernement, il y a 10 000 postes d’écart puisque le GRFDE envisage de rémunérer les étudiants de M2 pour étudier, tandis que Peillon les rémunère pour enseigner ! Le GRFDE doit donc rajouter 10 000 postes dans son calcul si les étudiants ne sont pas utilisés comme moyens d’enseignement ! Pour les économies, c’est raté ! ».

    Le GRFDE, ne considérant pas les étudiants en formation comme des moyens d’enseignement, n’a pas évalué l’économie en postes que représente la mise en stage en responsabilité des étudiants et stagiaires. Il ne l’a fait ni pour le projet gouvernemental ni pour le sien. Par souci de cohérence, Claire Pontais et Christian Couturier auraient dû adopter cette approche comptable pour l’ensemble du dispositif du GRFDE. Leur conclusion aurait plaidé en faveur de ce projet.

    Dans le projet gouvernemental, effectivement, les demi-services qu’effectueront les 20 000 étudiants en M2 sous statut de fonctionnaire stagiaire représentent 10 000 postes.

    Dans le projet du GRFDE, les stages en responsabilité interviennent en M2 puis durant l’année de fonctionnaire stagiaire. Même si nous n’avons pas indiqué leur durée pour les M2, on peut, pour les besoins de la démonstration, les évaluer à un quart de service, soit l’équivalent de 5 000 postes, moyens qui permettraient de relancer la formation continue. Les stages en responsabilité effectués par les fonctionnaires stagiaires à l’issue du master représenteraient 60% d’un service complet, soit 12 000 postes.

    Ainsi, chaque année, le dispositif du GRFDE, s’il était appliqué, mettrait à la disposition du ministère de l’Éducation nationale l’équivalent de 17 000 postes contre 10 000 dans le scénario gouvernemental.

    Au total, aucune des objections avancées par Claire Pontais et Christian Couturier contre la méthode de calcul ne semble donc très pertinente. Cette discussion permet néanmoins de confirmer que, dans les grandes masses, le scénario du GRFDE ne ruinerait pas les finances de la nation. Et c’est cela l’essentiel : si on refuse ce scénario, ce ne peut être au nom d’un argument budgétaire, mais pour d’autres raisons en rapport avec la qualité de la formation.

    Le concours en M2 oublié ?

    Il nous faut signaler ici que les calculs du GRFDE ne tiennent pas compte du recrutement sur concours prévu en M2 pour les détenteurs d’un master recherche et pour ceux qui ont obtenu l’équivalent d’un master par le truchement de la VAE. A priori, cela aboutit à amoindrir un peu le coût direct de ce scénario en diminuant le nombre d’étudiants formés en M1 enseignement.

    Les auteurs de l’étude ont en fait considéré que les deux années d’étude durant leur master recherche participaient à la formation professionnelle de ces étudiants et qu’il serait normal  de les intégrer dans les calculs. Mais, cherchant surtout à évaluer des grandes masses, ils ont choisi de neutraliser aussi ce paramètre, car il est difficile à quantifier. On peut cependant reprocher à l’étude du GRFDE de ne pas avoir précisé ce point de méthode dans le passage intitulé : « Discussion sur le mode de calcul ». Voilà qui est fait.

    Quatrième objection : le GRFDE confond prérecrutements, bourses, allocations

    Claire Pontais et Christian Couturier reprochent au GRFDE « d’inventer une allocation d’étude sous statut d’élève professeur. ». Pour eux, le problème est que ce statut existe déjà (statut des normaliens de l’ENS, statut des ex-IPES). « Il correspond à un prérecrutement qui donne droit à un salaire lié à un indice de la grille salariale de la fonction publique, avec cotisations pour la retraite. Le GRFDE propose de casser ce statut… »

    Soyons sérieux, le GRFDE n’est pas un sous-marin du MEDEF, il n’a nullement l’intention de casser un quelconque statut de la fonction publique. Dans son projet diffusé le 19 septembre, il dit : « Le concours donne accès à une de ces écoles (professionnelles interuniversitaires) avec un statut protégé qui restera à déterminer (fonctionnaire-stagiaire ou élève-maître). La formation est rémunérée jusqu’à la certification. C’est une des conditions de la qualité de la formation, elle permet aux futurs enseignants de s’y investir en toute sérénité, sans le souci de devoir gagner leur vie et financer leurs études. Les années de formation rémunérée sont comptabilisées dans le calcul de la retraite. »

    Depuis ce texte programmatique, le GRFDE a été conduit à préciser certains points de son projet, notamment pour préparer une audience par une commission sénatoriale sur les prérecrutements. Il propose ainsi de fixer la rémunération avant l’année de FS à 1 250 euros mensuels, versés pendant les 24 mois du master. Il demande que l’État prenne également à sa charge la couverture sociale de ces étudiants. Faut-il appeler cette rémunération « allocation d’étude (ou de formation) »,  « indemnité de formation », « prestation», « gratification » ou autrement encore ? Là n’est évidemment pas la question de fond. Faut-il y associer un statut « d’élève-professeur », « d’élève-maître », « d’apprenti-professeur » ou un autre encore qu’il est toujours possible d’imaginer ? L’important est que le statut soit général (tous les lauréats en bénéficient systématiquement), qu’il garantisse aux jeunes en formation une rémunération leur permettant de vivre et d’étudier et leur assure une protection juridique à la hauteur de leur engagement vers le métier d’enseignant. Comme le dit le texte programmatique cité ci-dessus, ce statut protégé reste à déterminer.

    Sur ces points terminologiques et juridiques, le GRFDE ne prétend pas détenir les tables de la loi et ne veut rien trancher prématurément. Il s’efforce de promouvoir cette idée cruciale d’une rémunération de la formation pour les lauréats du concours dès l’entrée en M1 (et en M2 pour ceux qui entrent dans le master enseignement à ce niveau). Le GRFDE sera attentif à toutes les propositions qui pourront être faites. Rappelons ce qu’il disait dans son texte programmatique : « Nous formulons ici [ces principes] en tant que collectif autonome, non pour livrer un plan tout ficelé, mais pour les soumettre à tous ceux qui ont à cœur la qualification disciplinaire, éthique et professionnelle des enseignants : enseignants, formateurs, parents, citoyens, syndicats, collectifs, associations professionnelles, sociétés savantes, etc. […] Il s’agit de mobiliser tous les acteurs de la formation des enseignants et de faire appel à l’intelligence collective. Réunissons-nous dans les établissements scolaires, les universités, les IUFM, etc. sous les formes qui conviennent en chaque lieu […] et discutons ensemble de ces principes, précisons-les, enrichissons-les. Emparons-nous de ce débat, contribuons à dessiner la formation des enseignants dont le pays a besoin et demandons […] au ministre de prendre en compte ce projet. »

    Quelles formes de prérecrutement ?

    La nécessité d’un prérecrutement s’impose à la fois pour sortir rapidement de la crise du recrutement et pour démocratiser l’accès au métier d’enseignant. Le GRFDE refuse les «Emplois d’avenir professeur » (EAP). Les jeunes des milieux populaires qui en bénéficieront seront certes rémunérés sous contrat de droit privé. Mais, en contrepartie, ils devront travailler 12 h par semaine dans un établissement scolaire. Pour étudier (avoir leur licence, puis leur année de M1) et préparer les concours, ils seront du coup en plus mauvaise posture que ceux qui pourront s’y consacrer à 100 % grâce au soutien financier de leur famille.[9] Sur ces analyses, l’accord est total avec nos collègues du SNEP-FSU.

    Plus concrètement, le GRFDE propose d’établir une bourse de préparation aux concours de la FDE, d’un montant de 1 100 euros mensuels, versés durant les 24 mois des 2 dernières années de licence, qui serait attribuée à un nombre d’étudiants correspondant à 50 % des postes à pourvoir au concours d’entrée en formation professionnelle. Cette proportion devrait être inscrite dans la loi, pour la mettre à l’abri d’une remise en cause en catimini.

    Ces bourses seraient attribuées sur critères sociaux et, parmi les étudiants éligibles, à ceux qui montrent qu’ils sont susceptibles de tirer bénéfice de la préparation au concours, puis de la formation. La bourse n’aurait d’autre contrepartie que l’engagement de s’inscrire au concours et l’assiduité aux cours, aux modules de préprofessionnalisation et de préparation du concours organisés par l’Université.

    Le GRFDE considère que le meilleur moyen d’effectuer la sélection des boursiers est un concours. Il donne les meilleures garanties d’équité et de transparence. Et puis, pour les étudiants, la perspective de ce concours portant sur des savoirs disciplinaires enseignés en licence ne pourrait être qu’un motif supplémentaire d’investissement dans leurs études.

    Pourquoi un concours des bourses FDE accessible sur critères sociaux ? L’objectif est de s’assurer à la fois que le financement des études par l’État bénéficie bien aux étudiants dont les familles ont un faible revenu et, parmi eux, aux étudiants les plus capables de bénéficier de la formation en master enseignement.

    Claire Pontais et Christian Couturier reprochent au GRFDE d’imaginer une forme de concours contraire à la Constitution, d’envisager un engagement du bénéficiaire qui serait illicite et, plus globalement, de confondre « bourses » et « prérecrutements ».

    Là encore, il convient de distinguer les principes et leur mise en œuvre concrète sur les plans juridique et pratique. S’il s’avérait qu’il est anticonstitutionnel d’organiser un concours (pour des bourses d’étude) accessible sur critères sociaux, il conviendrait bien sûr d’imaginer une solution « de repli », même si elle est moins satisfaisante, comme une commission pluripartite (universitaires et formateurs, représentants de l’employeur, étudiants, familles) qui examinerait les dossiers des candidats.

    Du reste, nos deux collègues semblent également demander un prérecrutement sur concours, sur le modèle des IPES. Les IPES étaient bien sûr une excellente formule. Mais ils fonctionnaient dans les années 60-70, dans un système universitaire auquel seulement 15 % de la classe d'âge accédait. L'État avait besoin de recruter en masse des enseignants du secondaire. Les étudiants venant des classes favorisées dédaignaient alors la carrière d’enseignant, y compris dans le secondaire, ou alors ils visaient l’ENS et l’agrégation. Le recrutement des certifiés (pour enseigner essentiellement dans les collèges) ne disposait pas d’un vivier suffisant. C’est la principale raison qui a conduit les pouvoirs publics à développer ce système de prérecrutement en partie inspiré du modèle des ENS. Il a permis à des jeunes issus des classes moyennes et populaires de devenir professeur du second degré, certains passant ensuite l’agrégation.

    Aujourd'hui, si on reprenait ce dispositif, il y aurait une concurrence très forte entre des étudiants de toutes conditions et il est probable qu’il ne bénéficierait pas du tout à ceux à qui on le destinerait. La seule façon de garantir que le dispositif serait utile à la promotion des enfants des classes populaires serait de limiter l’accès au concours sur critères sociaux.

    Concernant l’engagement du boursier, on sait que de nombreuses prestations sont conditionnées par un engagement du bénéficiaire (allocations chômage, RSA, etc.). Mais si Claire Pontais et Christian Couturier avaient pointé ici un réel problème statutaire, il ne serait pas difficile de trouver dans la panoplie des prestations existantes un modèle valable pour permettre à l’État, dans le respect de la loi, d’aider les étudiants des milieux défavorisés qui veulent devenir enseignants.

    Certes, en tout rigueur terminologique et juridique, il est normal de discuter le terme de « prérecrutement » quand il est appliqué à des bourses de préparation au concours de la FDE attribuées dès le début de L2, même fixées à 1 100 euros mensuels nets, couvrant 50 % des postes mis au concours, sans contrepartie d’un travail mais avec celle de l’engagement du bénéficiaire dans sa formation. Mais il faut distinguer les mots et les choses. Si le gouvernement décidait de mettre en œuvre cette proposition en l’appelant « prérecrutement », qui le blâmerait pour une approximation sémantique ? La plupart des acteurs de la FDE diraient sûrement : « Chiche » ! Le GRFDE est disponible pour réfléchir avec la direction du SNEP-FSU, comme avec tous ceux qui le souhaiteront, aux diverses formules possibles. L’urgence est de défendre une vision praticable immédiatement et lisible pour les étudiants et la nation. Il s’agit de mettre au point un dispositif qui assure la démocratisation du métier d’enseignant et contribue à nous sortir de la crise du recrutement.

    Cinquième objection : placer le concours en L3, c’est s’ancrer dans une vision archaïque.

    Selon Claire Pontais et Christian Couturier, « le concours placé en L3, dans le contexte actuel, ne peut qu’aboutir à un pilotage exclusif de la formation par l’employeur tenté d’une part, d’utiliser les étudiants comme moyens d’enseignement et d’autre part de les formater sur des « bonnes pratiques. » Cette position reviendrait du même coup à séparer la FDE de l’Université, à rebours des exigences d’une formation académique et professionnelle de qualité, qui doit être étroitement articulée à la recherche.

    C’est là une très étrange critique. En quoi le fait de sélectionner plus tôt les futurs enseignants pour qu’ils puissent suivre un master spécifiquement dédié à l’enseignement aboutirait à les couper de l’Université, à les soumettre à leur futur employeur, à les « formater », voire, comme le disent certains, à se contenter des acquis académiques de la licence ? Les masters ne sont-ils pas des diplômes universitaires ? Les enseignants-chercheurs et les membres des UFR n’auraient-ils aucun rôle à y jouer ? L’un des objectifs du scénario proposé par le GRFDE n’est-il pas d’encourager le développement de l’initiation à la recherche au cours des deux années de master en les libérant du poids de la préparation du concours ? Les futurs médecins, les futurs ingénieurs sont sélectionnés assez tôt. Leur formation est-elle coupée de l’Université ? Les formations données par les CHU sont-ils pilotés par le Ministère de la santé ? Les ingénieurs formés au sein des universités sont-ils « formatés » ? En outre, nos deux collègues négligent de nouveau l’existence d’une entrée sur concours directement au niveau du M2 du master enseignement pour les détenteurs d’un master recherche, proposition sur laquelle, rappelons-le, le GRFDE rejoint le SNEP-FSU.

    Précisons, s’il le fallait, que le GRFDE ne propose pas de recréer les Écoles Normales d’Instituteurs et les CPR et qu’il a fortement critiqué le projet gouvernemental des ESPE [10]. Il préconise la création d’une institution universitaire de formation, les Écoles professionnelles interuniversitaires académiques de FDE (ÉPIA-FDE) dont l’objectif, dans chaque académie, est de substituer à la concurrence actuelle la coopération entre les acteurs de la formation, et pas seulement ceux des actuels IUFM : enseignants-chercheurs spécialistes des disciplines, chercheurs en didactique et en sciences humaines et sociales, etc., praticiens-formateurs, autres formateurs. Ces écoles « contribuent à mutualiser et optimiser les ressources de formation et de recherche des différentes structures universitaires de l’académie. Elles travaillent en partenariat avec les autres composantes de l’Université et les services de l’Éducation nationale déconcentrés, notamment pour l’organisation des stages de formation initiale et pour la formation continue » (projet du GRFDE).

    Alors, comment faut-il comprendre la critique faite à ce dispositif institutionnel (d’abandonner la formation à l’employeur) ? Faudrait-il exclure de la formation des enseignants les praticiens-formateurs en prétendant qu’ils confondraient formation et « formatage » ? Poser la question c’est y répondre : leur rôle est crucial au sein d’équipes de formateurs qui doivent être pluricatégorielles et il convient de développer des réseaux de praticiens-formateurs, formés et certifiés. Faudrait-il aussi se couper des services de l’Éducation nationale en prétendant qu’ils ruineraient alors le caractère universitaire de la formation ? Mais comment, sans ce partenariat, concevoir et mettre en œuvre une formation en alternance progressive, comportant des stages dès le premier semestre du M1 ? Et comment, sans ce même partenariat, contribuer sérieusement à une politique ambitieuse de formation continue, tellement exsangue aujourd’hui ? Il est grand temps de se sortir de la dramatique coupure institutionnelle introduite par les derniers gouvernements dans la formation initiale et continue des enseignants entre les établissements scolaires et les formateurs « du terrain » d’une part, les universités, la recherche, les enseignants et les formateurs des UFR et des IUFM d’autre part.

    Tout au long du projet du GRFDE, le collectif d’auteurs a insisté sur le lien consubstantiel qu’il convient d’établir et de nourrir entre formation et recherche. Ils y précisent par exemple : « La formation ne doit pas obéir à une conception officielle de la didactique ou de la pédagogie. Loin de tout dogmatisme, elle est ouverte à des apports différents, pourvu qu’ils respectent les valeurs républicaines et la dignité de la personne humaine. Cette formation favorise le débat professionnel, elle incite à la compréhension critique des enjeux et à la réflexion personnelle en relation avec l’expérience pratique. » Il est assez surprenant de lire dans une critique de ce projet qu’il aboutit à « formater [les étudiants] sur de ”bonnes pratiques” ».

    Selon Claire Pontais et Christian Couturier, le projet du GRFDE abandonnerait la FDE « au local » et éclaterait ses cadres nationaux. Quel texte du GRFDE ont-ils lu qui justifierait cette crainte ? Le projet du GRFDE dit explicitement : « Chaque école assure la formation des enseignants selon un cahier des charges national de la formation des enseignants. Chaque école est dotée d’un site de formation par département minimum. Le cadrage national des formations, négocié avec les universités, doit garantir, pour chaque filière, un équilibre des contenus de formation correspondant aux exigences du métier : connaissances disciplinaires, connaissances métadisciplinaires utiles à l'analyse des problèmes d'enseignement, stages, formation aux SHS, etc. Ces écoles se fédèrent au plan national au sein d’une Maison nationale de la formation des enseignants qui a pour mission de faciliter les échanges de toutes sortes utiles aux Écoles académiques et de soutenir et de développer la formation initiale et continue des formateurs, notamment à travers un plan national de formation. »

    Ainsi que le dit Didier Delignières dans un argumentaire en faveur d’un concours précoce [11], « il est évident que l’Éducation nationale tient à garder la main sur un concours, situé le plus près possible de la prise de fonction des enseignants, et supposé porter sur l’appréciation des compétences professionnelles. » À l’inverse de ce que disent nos deux collègues, le fait de placer le concours en M1 ou en M2 ne donne pas à l’Université les coudées franches pour concevoir et mettre en œuvre la formation. C’est le moins que l’on puisse dire.

    Une formation d’une durée importante qui n’est pas parasitée par le concours.

    Placer le concours en L3, c’est donner l’accès à trois années de formation intégrée (deux années de master enseignement puis une année sous statut de fonctionnaire stagiaire), permettant d’organiser une alternance progressive. Claire Pontais et Christian Couturier ont raison de dire que le niveau licence, sur le plan de la maîtrise des savoirs académiques est aujourd’hui insuffisant. Une formation construite sur trois années continues après la licence est indispensable pour garantir un haut niveau de qualification disciplinaire. On peut faire confiance aux enseignants-chercheurs des UFR disciplinaires pour jouer sur ce plan un rôle moteur au sein des ÉPIA-FDE.

    En outre, le fait de réunir pour leur formation initiale, durant trois années après le concours, les futurs enseignants avec un statut soustrait à la concurrence et préfigurant celui qui sera le leur au cours de leur carrière est également une condition de la construction progressive et collective de l’identité professionnelle. Cela crée un environnement bien plus propice à la socialisation des expériences de formation. Cela favorise la formation de solidarités entre les jeunes en formation.

    Ces trois années en continuité ne sont pas de trop si l’on vise aussi une formation didactique, pédagogique et éthique de qualité articulée à une initiation à la recherche. C’est la raison pour laquelle le GRFDE propose également que la première année de l’enseignant titulaire donne lieu à un allègement de service (adaptation à l’emploi).

    Mais on ne peut poursuivre sérieusement ces objectifs si on leur ajoute celui de la réussite d’un concours. Comme le dit Didier Delignières, « Faire cohabiter formation professionnelle et préparation aux concours est un non sens total »[12]. La barque est alors trop chargée. Et c’est tout le master qui est « plombé » par la perspective de ce concours car, volens, nolens, les étudiants font de sa préparation leur objectif principal. En outre, on peut se demander si le climat de concurrence qu’installe un concours terminal est le meilleur moyen de préparer les futurs enseignants à l’éducation coopérative et au travail en équipe [13].

    Il faut s’y résoudre, il n’y pas de bon moyen de mener simultanément préparation au concours et formation professionnelle. Le fait de prévoir des épreuves à caractère didactique n’est qu’un expédient. Cela conduit en effet les étudiants à soutenir non les idées qu'ils jugent justes, mais celles qu'ils croient avoir la faveur des jurys. Du fait de la dimension normalisatrice des concours, il y a là un réel risque de dérive positiviste et qui peut conduire à transformer la didactique en une doxa à connaître verbalement et à régurgiter pour réussir les épreuves, qu’on oublie sitôt que l’on se frotte aux réalités du métier. L’expérience a montré que les IUFM, obligés de s’inscrire dans un scénario formation professionnelle + préparation au concours en première année, n’ont pas été à l’abri de telles dérives.

    Le GRFDE milite activement pour une formation didactique de qualité, ouverte à la diversité des courants et des écoles, articulée à l’expérience du travail d’enseignement en classe (à travers les stages et l’analyse réflexive des problèmes rencontrés) et aux recherches sur les apprentissages. C’est seulement le cahier des charges national de la formation dans les masters enseignement et l’année de FS qui peut constituer cette garantie. La confier aux épreuves écrites et orales d’un concours, c’est réduire la didactique à des connaissances discursives sans viser leur opérabilité, en quelque sorte à « une pédagogie de papier » et c’est lui faire le baiser de la mort.

    Quoi qu'il en soit, si le concours a lieu très précocement, comme le GRFDE le demande (avant l'entrée dans le master enseignement), il parait difficile d'exiger des candidats des connaissances ou capacités qu'ils n'ont pas encore acquises. C'est alors le niveau des connaissances abordées dans le champ disciplinaire de la licence qui doit être le critère principal de sélection. Mais il n’y a aucun inconvénient à demander aussi aux candidats une synthèse de documents sur un sujet portant sur les grandes questions en débat en éducation.

    Il faut bien voir enfin que 52% des bacheliers (de 2012) le sont par la voie technologique et professionnelle. Pour recruter les enseignants des filières technologiques et professionnelles secondaires, le concours à BAC + 3 s'impose car, pour l’essentiel, ceux qui vont postuler font partie des 54% qui suivent des formations du supérieur au niveau Bac + 3 hors de l'Université. La mastérisation a quasiment tari leur recrutement au grand profit des CFA privés. Grâce à un système d'équivalence à Bac + 3, l'entrée par concours dans une formation universitaire orientée vers l’enseignement technologique et professionnel leur permettra d'obtenir un master et d'être formés à un haut niveau.

    À l’inverse, une entrée en master dans les conditions actuelles avec un concours en M1 ou M2 continuerait inévitablement à les rejeter, comme on l’a vu pour les enseignants de mécanique auto, bâtiment, coiffure, esthétique, conducteur routier, électricité, etc. Au bout du compte, on mettrait en péril le service public de formation professionnelle et technologique, on inscrirait dans l’institution la coupure entre Université et formations technologiques et professionnelles, légitimant ainsi la ségrégation sociale que cette coupure incarne.

    La date du concours

    Claire Pontais et Christian Couturier disent que « le GRFDE envisage un concours en début de M1 avec des résultats à la Toussaint. » Ils discutent la pertinence de cette date. Or, dans son projet, le GRFDE écrit : « Le concours de recrutement est accessible sous condition de la possession d’une licence ou d’un diplôme équivalent. Les étudiants peuvent cependant s’inscrire sous condition d’obtenir leur licence dans les semaines qui suivent le concours, par exemple jusqu’en septembre si le concours a lieu en mai et juin. Les épreuves écrites et orales sont organisées durant la même année universitaire. » Aucune date n’est arrêtée. La seule période qui soit évoquée : la fin de l’année de L3 et les mois de mai et juin.

    Quant à la préparation du concours, elle peut être intégrée en tant qu’élément de formation au sein de la licence, sous la responsabilité des UFR, avec des conditions particulières pour les étudiants « prérecrutés » (les « boursiers-FDE »).

    En conclusion : l’Histoire nous tend la main

    Après des années durant lesquelles les acteurs de la FDE ont dû lutter pied à pied pour préserver tout ce qui pouvait l’être face à l’entreprise de destruction menée par Xavier Darcos, puis par Luc Chatel, une nouvelle période s’est ouverte avec les élections du printemps dernier. Plutôt que de replâtrer un édifice en ruine, le gouvernement et le Parlement ont une chance historique à saisir : ils ont tous les moyens d’engager une réforme ambitieuse, profonde et durable, qui fasse honneur à la tradition universitaire et pédagogique française.

    Pourtant, on ne peut que le déplorer, avec les projets que semble vouloir retenir le gouvernement, celui-ci refuse de prendre la main que l’Histoire lui tend. On revient au système bancal d’avant la mastérisation, avec un concours au milieu des deux années de formation, système que tous les acteurs avaient jugé insatisfaisant et que personne n’imaginait voir revenir. Seule différence : on l’enveloppe dans un master, « master concours » la première année, qui sera une année de bachotage, « master stage en responsabilité » la seconde, qui sera un fourre-tout ingérable pour les étudiants. Cela fait figure de compromis boiteux, un « moins pire » dont certains espèrent que les acteurs de la FDE se contenteront, un dispositif qui n’est pas du tout à la hauteur de l’ambition affichée, à savoir la refondation de l’école républicaine, et qui est même de nature à la compromettre. Quelle que soit la majorité politique dans 4 ans, il est probable qu’il faudra tout recommencer…

    Nous croyons cependant qu’il est encore temps de remettre l’ouvrage sur le métier. Le gouvernement et le Parlement peuvent encore tracer une voie vers une véritable re-construction de la formation des enseignants.

    Mais il revient aussi aux acteurs de la FDE de prendre leurs responsabilités. Ils doivent dire de façon claire quelles sont les conditions pédagogiques, institutionnelles et sociales de cette re-construction.

    Sans hésiter plus longtemps, ils doivent faire tout leur possible pour s’entendre sur des principes et, de là, sur des façons de les mettre en œuvre et d’en nommer les formes concrètes. Le GRFDE est convaincu que les conditions existent pour dessiner une convergence de vues parmi les principaux acteurs de la formation des enseignants. Pour cela, il convient de souligner les points d’accord, de pointer les différences sans les sous-estimer et de les « travailler » dans des discussions constructives. Le GRFDE y contribuera autant qu’il le pourra.

    22 Janvier 2013


    [1] http://www.cafepedagogique.net/lexpresso/Pages/2013/01/17012013Article634940018108343522.aspx

    [2] Voir le texte programmatique du GRFDE du 19 septembre 2012 : http://data0.eklablog.com/grfde/mod_articles18603606_506ae0fe3b50e.pdf?6820

    Celui-ci est soutenu aujourd’hui par près de deux cents universitaires et formateurs de toutes catégories et de divers horizons syndicaux Le scénario de formation est très succinctement résumé dans un encadré à la fin du présent texte.

    [3] Interview de Claire Pontais sur le Café Pédagogique le 29 mai 2011 : http://www.cafepedagogique.net/lemensuel/lenseignant/eps/Pages/2011/123_1.aspx

    [4] http://www.democratisation-scolaire.fr/spip.php?article134

    [5] Cour des comptes, Le rapport public annuel, Synthèses, 2012, pages 62 est suivantes, La Documentation Française Ce document est accessible ici : http://www.ladocumentationfrancaise.fr/rapports-publics/124000069/index.shtml

    [6] Avec le projet gouvernemental d’un concours placé en M1, la plupart des étudiants ayant échoué au concours voudront continuer en M2 pour avoir le master complet et repasser le concours… au moins une fois.

    [7] Peut-être Claire Pontais et Christian Couturier parlent-ils ainsi à la lumière de l’expérience de la formation des profs d’EPS au sein des UFR-STAPS (laquelle peut être considérée comme un bel exemple de formation intégrée). En effet, il est vraisemblable que, pour les candidats collés au CAPEPS à l’issue du M2, ceux qui ont suivi la formation de profs d’EPS peuvent opérer une réorientation assez aisée vers des métiers assez nombreux, dans le secteur de l’éducation sportive, de l’entraînement, des activités physiques adaptées, de la santé, de l’encadrement du sport amateur ou professionnel, etc. En témoigne le taux d’insertion des étudiants de master STAPS, reçus au concours ou non, qui est exceptionnellement élevé. Il n’est pas sûr que ce modèle soit reproductible pour les masters enseignement dans beaucoup d’autres domaines disciplinaires.

    [8] Voir par exemple l’interview de Claire Pontais (déjà citée plus haut). Elle y dit notamment : « Concrètement, nous envisageons différentes voies d’accès au métier d’égale valeur en fonction du projet de l’étudiant :

    -   Une voie pour les étudiants qui se destinent tôt au métier d’enseignant, avec des prérecrutements au niveau licence et un parcours professionnalisant de la licence au master.

    -   Une seconde voie pour ceux qui font un choix tardif après un master « disciplinaire ».

    -  Une troisième voie, qui s’adresse aux personnes qui ont déjà une expérience professionnelle et postulent par voie de VAE. »

    [9] Ces EAP font figure de cadeau empoisonné pour les jeunes de milieux populaires. Le gouvernement serait-il si influencé par certains discours contre « l’assistanat » qu’il se refuse à établir un droit à l’accès au métier d’enseignant sans obliger simultanément les allocataires à « mériter » leur prestation ?

    [10] http://grfde.eklablog.com/statut-des-espe-le-projet-et-la-methode-doivent-etre-repenses-a59870827

    [11] http://blog.educpros.fr/didier-delignieres/2013/01/06/formation-des-enseignants-et-concours-de-recrutement/

    Didier Delignières est directeur de l'UFR STAPS de l'Université Montpellier 1, vice-président de la Conférence des Directeurs d'UFRSTAPS (C3D).

    [12] http://blog.educpros.fr/didier-delignieres/2012/11/17/masterisation-et-formation-des-enseignants-plaidoyer-pour-un-pre-recrutement-en-licence/

    [13] Sur le rôle des modalités d’évaluation dans la formation des enseignants, voir des développements dans l’introduction de Langues modernes, n° 4, 2012.

    Un résumé du scénario de formation du GRFDE

    1. « Prérecrutements » pour au moins 50 % des postes mis au concours dès le début de la deuxième année de licence (L2), sous forme de bourses d'étude de 1100 € mensuels (le concours des bourses est accessible sur critères sociaux) ; modules de préprofessionnalisation en L2 et L3 et de préparation au concours, obligatoires pour ces boursiers « prérecrutés ».

    2. Concours en fin de L3 pour entrer dans un master enseignement, sous statut d'élève-professeur (ou autre) ; les lauréats sont rémunérés à 1250 € mensuel durant 24 mois, ils sont couverts pour la SS et ces deux années sont prises en compte dans le calcul de la durée de cotisation pour la pension ; la formation se déroule au sein d'une école interuniversitaire académique dans laquelle les lauréats entrent sous condition d'une licence (celle-ci n'étant exigée qu'au moment de l'entrée dans l'école, après les ultimes évaluations de L3, fin septembre par exemple).

    3. Ouverture d'une seconde voie rendant le master enseignement accessible, directement en seconde année (M2), pour les étudiants détenteurs d'un master recherche ou d'une équivalence par VAE, à travers un concours adapté et débouchant sur un parcours lui-même adapté.

    4. Délivrance avec le master enseignement, d'un certificat d'aptitude théorique au métier d'enseignant.

    5. La formation initiale se poursuit alors sous statut de fonctionnaire stagiaire (avec un service de 60 % maximum du service réglementaire) et se conclut par la délivrance d’un certificat d'aptitude pratique et la titularisation comme fonctionnaire de l’Éducation nationale.

    6. La première année (en tant que titulaire), dite « T1 », donne lieu à un allègement de service pour favoriser une entrée progressive dans le métier.

    7. Le Ministère de l'éducation nationale organise une politique ambitieuse de formation continue dont les débutants peuvent bénéficier dès leurs premières années d’enseignement. Il développe, dans le primaire et le secondaire, des réseaux de praticiens-formateurs (certifiés et formés à leurs missions).

     

     

     


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