• - Pour un Institut national de Recherche en Education par H. ROMIAN

    Hélène ROMIAN Chercheure (retraitée) à l'INRP nous a fait parvenir cette note qui, en écho aux propositions du GRFDE, alimente la réflexion sur une vision novatrice et ambitieuse de la place de la recherche en éducation dans les dispositifs à naître de la formation des personnels de l'éducation nationale.

    Note - PROPOSITIONS POUR UN INSTITUT NATIONAL DE RECHERCHE EN ÉDUCATION

    Hélène ROMIAN , chercheure (retraitée) à l'INRP

     Dans son texte de septembre 2012 "Pour reconstruire la formation des enseignants", le GRDE évoque des points qui me paraissent essentiels, pour la formation des enseignants, pour la bonne santé, l'efficacité  et le dynamisme du système éducatif, sa capacité à se remettre en question, à évoluer en fonction des besoins sociaux et de l'état des connaissances :

    - une Formation des enseignants (et pourquoi pas de tous les personnels de l'Education nationale ?) "adossée" à la Recherche (je dirais plutôt articulée à la Recherche, en interaction avec elle, Formation et Recherche s'apportant mutuellement)

    - et partant la nécessité de développer la Recherche en Education dans les futures ESPE et notamment les recherches de type recherche-action, la Formation assurant ainsi une fonction de médiation vitale entre Recherche et Pratiques de classe sans laquelle la Recherche risque fort de rester lettre morte, du moins pour les enseignants

    - et partant la nécessaire transformation de l'Ifé en INRE, qui aurait pour mission de soutenir les équipes universitaires de formation-recherche, de favoriser les échanges, la coordination entre elles, la diffusion des travaux, la mutualisation des ressources

    Ce sont là en effet des questions cruciales qu'il importerait plus que jamais de prendre en charge, et pas seulement en fonction des problématiques de formation des enseignants. Partant de mon expérience professionnelle à l'ex-INRP (remplacé par l'Ifé) comme responsable de recherches-actions en didactique menées par des équipes de recherche-formation, et comme syndicaliste à la FEN puis à la FSU, je voudrais verser au débat quelques propositions concernant l'INRE (que nous avions été à deux doigts d'obtenir en 1983 ...)

    Un INRE. Pourquoi ?

    L'enjeu politique de l'existence d'un tel Institut est nul si l'on considère que les prises de décision concernant le système éducatif reposent essentiellement sur des considérants politiques justifiés par des commissions d'experts dont le choix ne va pas d'ailleurs sans poser problème, sans parler des conflits d'intérêt. Il est nul si l'on postule que l'application directe de recherches universitaires données sur un thème nécessairement limité suffit à légitimer une réforme pédagogique ou didactique sans expérimentation préalable (au sens scientifique du terme). L'enjeu est nul encore si l'on considère que la formation des personnels de l'Education nationale relève du compagnonnage avec les pairs, voire de l'apprentissage sur le tas. Les Instructions officielles faisant office de maître à penser les pratiques professionnelles. La suppression de l'INRP puis celle de la formation professionnelle des enseignants qui correspondent certes à une politique de restrictions budgétaires, relèvent fondamentalement d'une conception autoritariste et praticiste du fonctionnement du système éducatif et singulièrement de la fonction enseignante où la pédagogie et plus encore les didactiques des disciplines scolaires sont l'ennemi à abattre.

    Par contre, l'enjeu est vital si l'on pense que les décisions politiques, et notamment celles qui concernent la formation des personnels devraient être appuyées - entre autres - sur l'état des connaissances et des expérimentations (au sens scientifique du terme, on ne saurait trop y insister) dans les divers domaines impliqués, y compris la pédagogie et les didactiques des disciplines scolaires. Expérimentations menées par une instance scientifique indépendante et non par une Administration qui se trouve de fait juge et partie. Des expérimentations impliquant notamment des terrains de recherche diversifiés, une masse critique de compétences scientifiques et pratiques diversifiées, une méthodologie rigoureuse de définition du projet de recherche, de contrôle théorique et pratique des pratiques innovantes mises en place, de description de ces pratiques et d'évaluation de leurs effets sur les apprentissages et les acquis des élèves.

    Il est clair que cela ne peut fonctionner sans une volonté politique forte au plan national, académique, départemental, local, l'adhésion des cadres administratifs, des moyens importants à l'échelle nationale, et du temps, le temps de travailler dans la durée des apprentissages et de l'observation de leurs effets. A la base des dispositifs de recherche, des équipes de recherche pluri-catégorielles (chercheurs, enseignants-chercheurs, enseignants-formateurs, personnels divers), chacun apportant son expérience et ses savoirs professionnels, avec des effets de formation dans et par la recherche pour les uns, et de prise de conscience des réalités quotidiennes de la classe, de l'établissement pour les autres. Toutes choses qui ne sont guère dans la culture des politiques. On peut se demander à cet égard pourquoi ce qui paraît aujourd'hui indiscutable comme le rôle de l'INSERM en matière de Santé ou celui de l'INRA en matière d'Agriculture par exemple continue à faire problème en matière d'Education nationale.

    C'est un fait, la création de l'INSEM en 1964 a permis un développement sans précédent de la recherche médicale, y compris dans les Universités. C'est un fait, et quelles que soient des critiques plus ou moins fondées, plus ou moins objectives qui auraient pu et dû être discutées, l'INRP (Institut national de recherche pédagogique issu de l'IPN puis de l'INRDP) créé en 1976, a lui aussi favorisé un développement sans précédent de recherches en Education encore peu développées dans les Universités en France, notamment dans les domaines des didactiques des disciplines scolaires, du traitement scolaire de l'inadaptation et du handicap, de la formation des maîtres, de l'Histoire de l'Education ... . Renonçant à lister la diversité des types de recherche menées, je voudrais souligner l'apport innovant de l'Institut en matière de recherche-action pratiquée par bon nombre d'équipes INRP dans une double finalité de connaissance et d'action innovante, avec la participation des Ecoles normales, puis des IUFMF et en coopération de plus en plus forte avec des équipes universitaires en Sciences de l'Education, Sciences de référence des divers domaines. C'est sans doute l'importance prise par l'INRP qui a paru insupportable aux décideurs politiques de la décennie passée qui l'ont délocalisé, démantelé, "restructuré" puis rayé de la carte au profit d'un Ifé (Institut français de l'Education intégré à l'ENS de Lyon). Volonté de décentralisation ou de servir des intérêts locaux, tout comme pour le CNDP délocalisé à Chasseneuil du Poitou, terre d'un certain M. Raffarin ?

    Ceci étant, il y a là une expérience collective, à remettre en question certes mais aussi à interroger, actualiser. L'INRE ne partirait pas de rien On peut en tous cas en inférer ce que pourraient être les objectifs centraux de cet INRE, travaillant en relation étroite avec les équipes universitaires et notamment celles des ESPE :

    - favoriser l'avancée des connaissances scientifiques sur le système éducatif

    - favoriser la prise en compte de l'état de ces connaissances dans les prises de décision politiques, la formation des maîtres et les pratiques de classe

    - déterminer en théorie et en pratique les voies, les contenus et les moyens d'une évolution continue, raisonnée du système éducatif, compte tenu des besoins sociaux et de l'état des connaissances qu'il importe d'analyser, de synthétiser et de traduire en termes pédagogiques et didactiques dans le court terme, le moyen terme, et la prospective

     

    Quelles missions ?

    Pour développer la Recherche en Education actuellement dispersée et sous-budgétisée, sous utilisée, voire ignorée par les décideurs politiques et administratifs, insuffisamment diffusée dans les communautés scientifiques, peu et mal diffusée auprès des acteurs de l'éducation, de l'enseignement, de la formation sans parler des parents d'élèves et de l'opinion en général , les missions de l'INRE pourraient être les suivantes :

    - assurer un soutien aux recherches universitaires comme le demande le GRFDE : favoriser le débat scientifique, la coordination, la structuration, la valorisation des différents domaines des Sciences de l'Education et des Didactiques des disciplines scolaires, favoriser la publication, la diffusion des travaux de recherche dans le système éducatif et notamment les ESPE, le CNDP et les CRDP, favoriser l'information des élus et du public, prendre part au débat démocratique sur les prises de décision

    - entreprendre à son initiative ou à celle des pouvoirs publics, et mener des recherches propres (en y associant des équipes universitaires, ce qui est aussi une forme de soutien). Sans recherches propres pas d'Institut de Recherche. Recherches d'intérêt national répondant à des besoins sociaux, des problèmes pratiques et scientifiques cruciaux, et exigeant une masse critique de moyens humains et budgétaires à l'échelle nationale : réduction des inégalités scolaires d'ordre social, évolution des cursus et des programmes d'enseignement, conception architecturale et environnementale, organisation de la vie des établissements, conceptions et évolution de la formation des personnels de l'Education nationale, dispositifs d'aide aux élèves en difficulté, en inadaptation ou en situation de handicap ... , recherches nouvelles en tant que de besoin dans des domaines peu investigués comme les didactiques dans les années 70 ..

    - assurer et favoriser la mémoire et l'histoire, la conservation, la mise à disposition des recherches en Education en coopération avec les Universités

    - contribuer à la formation des formateurs de formateurs, notamment en les associant à des équipes, des réseaux d'équipes de recherche INRE selon le principe de formation dans et par la recherche (l'INRP dispose d'une riche expérience à cet égard)

    - contribuer à la structuration internationale de la Recherche en Education, notamment en Europe, en développant les coopérations, les associations avec des équipes, des laboratoires de recherche étrangers

    - assurer une expertise et une veille scientifiques indépendantes notamment auprès des décideurs (politiques, administratifs, élus ...) : l'expertise pourrait prendre la forme d'états des lieux en matière de recherches nationales et internationales, d'analyses des besoins en matière d'éducation, d'enseignement et de formation, d'"expertises opérationnelles", c'est-à-dire d' expérimentations de faisabilité et d'efficacité au sens scientifique fondant des propositions d'action adressées aux décideurs et aux acteurs de terrain ; la veille visant plus particulièrement à l'actualisation des états de lieux et des pistes de prospective ;

    L'ensemble des expertises et des recherches de l'Institut contribuerait notamment à déterminer les axes de recherche des divers champs disciplinaires pour les programmes à venir,

     

    Quel statut ?

    Si l'on réfère à l'INSERM ou à l'INRA qui, comme l'ex-INRP ou un futur INRE, se trouvent à l'interface entre la connaissance d'un domaine donné d'action sociale ou économique et l'intervention publique sur l'évolution de celui-ci, on peut faire les propositions suivantes :

    Sans autonomie, il est probable que l'INRP n'aurait pu connaître le développement évoqué plus haut, et pas davantage jouer un rôle quelconque dans le développement de la recherche en Education à l'Université. Un INRE devrait avoir un statut d'établissement public national autonome impliquant une politique de recherche, un budget et des personnels, notamment de recherche, qui lui soient propres. Il devrait avoir les moyens nécessaires pour associer à ses recherches non seulement des chercheurs et enseignants-chercheurs mais également des enseignants et personnels divers en activité sur le terrain qui consacreraient à l'Institut une partie de leur temps de service.

    Il ne saurait se réduire à un département ou une composante d'un grand établissement dont les fonctions dominantes et les priorités sont ailleurs. Sinon, tout naturellement, et surtout dans des situations budgétaires difficiles, la Recherche s'y trouve minorée voire marginalisée. L'expérience de l'IPN puis de l'INRDP où prévalaient les fonctions de Documentation et de Production de Ressources pédagogiques l'a amplement montré. Il est de même douteux que l'Ifé qui certes, a bénéficié de l'expérience et des acquis des Services de Publications et de Ressources de l'ex-INRP en les absorbant, et qui certes, peut mener des recherches en Education utiles, puisse effectivement répondre aux missions d'un Institut national telles qu'elles sont définies plus haut. L'existence même des fonctions de base de l'ENS de Lyon : enseignement et recherche d'excellence dans des disciplines variées, risque fort de s'opposer en pratique à leur développement à hauteur des besoins du système éducatif, même si elles peuvent, en théorie, lui apporter.

    Si l'autonomie, qui n'implique pas l'isolement mais appelle au contraire, un politique d'association bénéfique à tous, est un point essentiel, l'indépendance scientifique ne l'est pas moins. Pas de recherche possible sans indépendance scientifique. L'INRE ne saurait en ce sens avoir un statut d'EPA (établissement à caractère administratif) qui a été celui de l'INRP, statut qui l'assimile à un Service ministériel. De ce point de vue, l'histoire des relations plus ou moins épineuses de l'ex-INRP avec son ministère de tutelle, l'Education nationale, est à cet égard instructive : de l'ignorance méprisante à la suppression en passant par des avatars autoritaires de toutes natures, l'INRP a connu toutes les variantes d'une relation de subordination et tous les à-coups d'injonctions contradictoires. Tantôt "outil du ministre"(sic) - en somme un Service d'études ministériel ou une Agence de distribution de moyens à des projets et des équipes "d'excellence" - tantôt laboratoire ayant à répondre à un modèle unique des sciences dites "dures" par opposition aux Sciences humaines jugées "molles"... Se pose ici la question fondamentale de la raison d'être de l'INRE : s'agit-il de justifier ou d'accompagner des réformes décidées par l'instance ministérielle dans le cadre et le temps de la politique gouvernementale et/ou s'agit-il de répondre aux besoins de système éducatif en matière de connaissance et d'évolution dans le court, le moyen terme, c'est-à-dire dans un cadre et un temps plus larges que ceux d'un mandat ministériel, gouvernemental ? Les programmes de recherche peuvent-ils se réduire à des commandes ministérielles ? Leurs méthodologies peuvent-elles répondre à des injonctions ministérielles, certaines (comme celles qui impliquent des interventions en classe) étant frappées d'interdit et l'expérimentation réservée à des instances ministérielles ? Les publications de recherche doivent-elles requérir l'imprimatur ministériel ? peuvent-elles légitimement être censurées avant impression ?

    La nature du statut de l'INRE est donc une question cruciale. Pour garantir à la fois son autonomie et son indépendance scientifique il devrait avoir un statut d'EPST (établissement public à caractère scientifique et technique) à l'instar de l'INSERM et de l'INRA dans les domaines de la Santé et de l'Agriculture. Ce statut impliquerait au moins deux ministères de tutelle : celui qui prend en charge le domaine concerné - en l'occurrence l'Education nationale -, et le(s) Ministère(s) de l'Enseignement Supérieur et de la Recherche. La tutelle du ministère de l'Education nationale va de soi, compte tenu des missions évoquées plus haut, à condition que celui-ci admette les principes d'autonomie et d'indépendance scientifique et qu'elle implique une relation gouvernée par le respect des compétences et des principes d'un fonctionnement démocratique. Elle aurait à garantir à l'Institut, outre des moyens pérennes pour les missions et les actions permanentes, un libre accès aux établissements et aux classes qui constituent le terrain des recherches, le cas échéant. La tutelle du(des) ministère(s) de l'Enseignement supérieur et de la Recherche devrait permettre de considérer cet Enseignement comme objet d'expérimentation, de description, d'évaluation à l'instar des enseignements scolaires, car il faudra bien un jour que les recherches en Education portent aussi sur l'Enseignement supérieur. Parallèlement, - en espérant que la tutelle en question renonce aux principes managériaux qui ont prévalu ces dernières années - cette tutelle devrait garantir l'indépendance scientifique de l'Institut tout en favorisant les associations d'équipes, de chercheurs, de laboratoires universitaires à des recherches INRE (et inversement), le débat scientifique, les collaborations, les coopérations de tous ordres. En ce sens, l'INRE devrait pouvoir associer notamment à ses programmes et à ses dispositifs des équipes d'ESPE, dont l'expérience professionnelle est particulièrement nécessaire pour concevoir et mener des recherches en Education, ce qui constitue un mode de formation irremplaçable des formateurs de formateurs dans et par la recherche. Mode de formation d'autant plus topique qu'il s'agit de recherche-action - type de recherche très peu pratiqué à l'Université. Celui-ci présente, outre son intérêt propre, des analogies méthodologiques heuristiques avec une démarche possible de formation, dans la mesure où celle-ci intègre à la fois des méthodologies de changement progressif, de description, d'évaluation des pratiques enseignantes. L'INRE devrait être donc être conçu dans un partenariat étroit tant avec les lieux d'éducation et de formation qu'avec les lieux de recherche universitaire, et notamment les ESPE, lieux de formation et de recherche . C'est là un point essentiel sur lequel on ne saurait trop revenir.

    C'est dire qu'un Institut national de type INRE appelle une organisation dynamique à la fois décentralisée, en prise avec les réalités du terrain et centralisée de manière à garantir la portée générale et la faisabilité de ses propositions d'action, la fiabilité et le caractère "écologique" de ses expertises, la solidité scientifique et l'utilité sociale de ses observations. Il y a là une voie de mise en synergie de la Recherche, de la Formation, de l'Innovation, des Savoirs professionnels des acteurs du système éducatif susceptible de le faire évoluer de manière raisonnée, contrôlée collectivement en s'appuyant, sur les forces vives de ce système. Telle est la vision de l'INRP qu'Alain Savary, alors ministre de l'Education nationale, avait présentée à ses personnels dans les débuts du gouvernement de la Gauche de 1981.

     

    Utopie ? Peut-être. Je crois à l'utilité des utopies. Pourquoi ce qui a été plus ou moins possible dans des conjonctures défavorables ne le serait-il pas maintenant ? Le changement c'est maintenant, nous a-t-on dit ...

     

     

     

     

     


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